Jan Joosten, «La prosopopée, les pseudo-citations et la vocation d’Isaïe (Is 6,9-10)», Vol. 82 (2001) 232-243
The divine mission addressed to Isaiah in Is 6,9-10 has baffled many generations of interpreters because of its paradoxical nature and its apparent inappositeness in a prophetic calling. A possible way of understanding the passage is to suppose that the words are not an accurate report of what the Lord said, but a retrospective judgment on what Isaiah’s mission really meant. The present article explores the rhetorical background of the stylistic procedure that may underlie Is 6,9-10. In Hebrew rhetoric, direct quotation does not necessarily imply that the words quoted were really said. A figure of speech exists, the ‘pseudo-quotation’, meaning approximately: ‘by his behaviour or his way of being, it is as if he were saying...’
Dans le chapitre 6 du livre d’Isaïe, le prophète raconte l’expérience de sa vocation. Le Seigneur s’est révélé à lui; un séraphin a enlevé son péché; et quand il s’est déclaré prêt à devenir l’envoyé de Dieu, il reçoit la mission suivante:
Il dit: "Va, tu diras à ce peuple: Écoutez bien, mais sans comprendre, regardez bien, mais sans reconnaître. Engourdis le cœur de ce peuple, appesantis ses oreilles, colle-lui les yeux! Que de ses yeux il ne voie pas, ni n’entende de ses oreilles! Que son cœur ne comprenne pas! Qu’il ne puisse se convertir et être guéri!" (Is 6,9-10 [TOB]).
Étonnant discours que celui qui est mis ici dans la bouche du Seigneur. Le message dont est chargé le prophète est paradoxal (v. 9), et la définition de sa tâche semble exprimer l’opposé de ce qui caractérise le ministère prophétique (v. 10); par surcroît, les deux versets se contredisent: si Isaïe devait appesantir les oreilles du peuple, il ne fallait pas qu’il lui dise d’écouter, même si c’était écouter sans comprendre. Comment le Seigneur, à ce moment-là dans le déroulement de l’histoire racontée, a-t-il pu tenir ces propos? Dans son contexte narratif, le discours divin paraît absurde.
Devant ce texte difficile, plusieurs exégètes ont envisagé la possibilité que les paroles attribuées au Seigneur en Is 6,9-10 ne relatent pas ce que le prophète avait réellement entendu au cours de sa vision dans le temple1, mais traduisent une interprétation de sa vocation apportée a posteriori. Au lieu de restituer les paroles divines telles qu’elles avaient été dites à ce moment-là, Isaïe opère une "rétroprojection" du vrai sens de son envoi tel qu’il l’a découvert au cours d’une longue et difficile expérience. Dans l’exégèse contemporaine, on tend de plus en plus à reconnaître aux paroles dites à Isaïe dans le cadre de sa vocation ce caractère fictif2.
Mais la thèse de la rétroprojection, malgré son attrait évident, rencontre