Jan Joosten, «La prosopopée, les pseudo-citations et la vocation d’Isaïe (Is 6,9-10)», Vol. 82 (2001) 232-243
The divine mission addressed to Isaiah in Is 6,9-10 has baffled many generations of interpreters because of its paradoxical nature and its apparent inappositeness in a prophetic calling. A possible way of understanding the passage is to suppose that the words are not an accurate report of what the Lord said, but a retrospective judgment on what Isaiah’s mission really meant. The present article explores the rhetorical background of the stylistic procedure that may underlie Is 6,9-10. In Hebrew rhetoric, direct quotation does not necessarily imply that the words quoted were really said. A figure of speech exists, the ‘pseudo-quotation’, meaning approximately: ‘by his behaviour or his way of being, it is as if he were saying...’
Voici qu’il est resté à Jérusalem, car il a dit: "Aujourd’hui, la maison d’Israël me rendra le royaume de mon père" (2 S 16,3 [Colombe]).
Que Mephibocheth l’estropié, dernier survivant de la maison de Saül, que David avait gracieusement reçu à sa table (cf. 2 S 9), fasse preuve d’un espoir à ce point déplacé et, en même temps, d’un tel manque de loyauté envers son bienfaiteur est tout simplement incroyable. Pourtant, David y a cru. Mais l’information est fausse. En effet, dans le récit sur le retour de David, on apprend que Mephibocheth "n’avait pris soin ni de ses pieds ni de sa moustache, il n’avait pas lavé ses habits, depuis le jour où le roi était parti" (1 S 19,25). Cette information de la part du narrateur omniscient, qui confirme le démenti explicite de Mephibocheth (1 S 19,27), montre que le discours que Tsiba avait mis dans la bouche de son maître est une simple diffamation.
Dans un tel cas, ce qui importe n’est pas de savoir si le discours rapporté est réel ou fictif mais qu’il est mensonger. Il ne s’agit pas d’une figure de style admise dans le monde biblique, mais d’une démarche perfide qui se pratique partout où existent des humains. Si la pseudo-citation devait, pour bien fonctionner, être identifiable en tant que telle, la citation mensongère ne pouvait se couronner de succès que lorsqu’elle restait dissimulée.
6. Conclusion
Ce qu’on retiendra de ce rapide survol c’est que, outre les citations véridiques et non véridiques, il existe en hébreu biblique une "figure" culturellement acceptable où le discours rapporté prend un sens métaphorique contribuant à caractériser une personne, un comportement ou une situation. Ce procédé stylistique n’est pas limité à la poésie ou au genre sapientiel. On le trouve également dans la rhétorique naturelle mise en œuvre dans les discussions entre individus et, sous une forme plus développée, chez les prophètes. Cette convention littéraire n’est pas immédiatement accessible pour un lecteur moderne.
II. Isaïe 6,9-10: une pseudo-citation?
Wolff n’avait entrevu des cas de pseudo-citation que lorsque le locuteur présumé s’identifiait aux adversaires du prophète. Il n’est cependant pas inimaginable, du moins théoriquement, que le même procédé stylistique s’applique à Dieu. Les prophètes parlent au nom de Dieu et citent couramment ses paroles. Dans la grande majorité des cas il n’y a aucune raison de mettre en doute leur fidélité dans la transmission du discours divin. Toutefois, dans certains contextes précis il se pourrait qu’une parole attribuée à Dieu montre, par sa forme ou son contenu, qu’il s’agit non pas d’un discours au sens propre mais au sens figuré. Un tel cas se trouve, semble-t-il, en Is 6,9-10.
Il est vrai que, dans la littérature biblique, les citations fictives ne sont guère compatibles avec le genre narratif. Mais Isaïe 6 n’est pas un récit biblique ordinaire. La "narration" de la vocation d’Isaïe n’émane pas d’un auteur anonyme et omniscient, mais du prophète lui-même. L’emploi de la