Françoise Mies, «"De la brûlure d’un feu..." – Ben Sira 51,5a (hébreu)», Vol. 86 (2005) 260-268
Le texte hébreu de Si 51,5a (hxp Ny)l #) twbkm )
pose problème. Non que l’état du manuscrit soit altéré ou les lettres
illisibles. Mais le sens échappe. De ce problème, les versions grecque et
syriaque sont témoins. Cet article, après avoir examiné les différentes
suggestions, propose de modifier twbkm ,
inintelligible en ce contexte, en twkmm
(cf. Lv 13,24). En gardant le texte consonantique
hxp , on s’interroge
sur le sens énigmatique de ce "feu qui ne fut pas allumé". En s’appuyant sur des
expressions similaires en Jb 20,26, S&emah[ot
47b et Sg 17,6, on aboutit au sens suivant: Ben Sira fut sauvé de la brûlure
d’un feu terrible.
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Smend (11), ce sont à ma connaissance les seuls exégètes à avoir jamais
accepté la proposition, que personne n’évoque d’ailleurs après eux, sauf Segal
en 1953, et pour la rejeter: il la qualifie de «lointaine» (qwjr hz lba) (12). Les
dictionnaires ne la reprennent pas, pas même comme hypothèse. D.J.A.
Clines (13) propose à titre de conjecture l’entrée [hb;Ki], mais au sens de
«dimness», en rattachant le substantif au verbe hbk «éteindre», en renvoyant
à l’hypothèse de l’infinitif piel du verbe et en ne trouvant au supposé
substantif aucune autre occurrence. Il n’y a pas lieu de réfuter l’existence des
racines araméenne et acadienne submentionnées signifiant «brûler» (14). Mais
il n’y a pas lieu non plus de reconnaître en twbk le substantif hB;Ki qui leur serait
apparenté. D’abord, le mot n’est attesté nulle part en hébreu, dans aucun état
de la langue. Ensuite, la racine hbk, bien attestée quant à elle dans tous les
états de la langue, signifie en hébreu non pas «brûler» mais «éteindre» (voir
infra). Ben Sira ne l’ignore pas puisqu’en Si 3,30 (MA) il utilise le verbe:
µym wbky tfhwl ça, «l’eau éteint le feu ardent». La racine hbk (ou ybk ou abk) a
également le sens d’«éteindre» en araméen. Bref, il ne convient pas de retenir
l’hypothèse.
Diverses modifications ont été proposées. La première d’entre elles, celle
de S. Schechter (15), suggère ça twblm, «des flammes d’un feu», d’après Ex 3,2
où le Seigneur apparaît à Moïse ça tB'l'B, «dans la flamme d’un feu». Mais le
]
mot est un hapax dans la Bible hébraïque et pose lui-même problème (16). En
outre, la hampe du l rend la confusion entre le l et une autre lettre
improbable. I. Lévi avait déjà rejeté l’hypothèse sans explication (17).
Une deuxième proposition (18), ça ˚wtm, «du milieu d’un feu», s’inspire de
la Septante – ejk mevsou purov". L’expression figure dans la Bible mais avec
l’article: çah ˚wtm (Dt 4,12.15.33.36; Ez 1,4). Que le terme ˚wtm soit redondant
par rapport à un supposé bybs (kuklovqen) du stique précédent n’est pas un
argument décisif. En revanche, d’autres objections sont plus sérieuses. Le
terme ˚wtm n’a que quatre lettres au lieu de cinq et s’il conserve quatre lettres
de twbkm, il le fait dans le désordre; la hampe du ˚ peut induire la confusion
(11) R. SMEND, Die Weisheit des Jesus Sirach erklärt (Berlin 1906) 499, considère
l’hypothèse plausible (mais envisage aussi favorablement celle de Schechter; voir note 15)
et traduit en conséquence: «aus der Glut eines Feuers» (R. SMEND, Die Weisheit des Jesus
Sirach. Hebräisch und Deutsch [Berlin 1906] 92).
(12) µlçh arys ˆb rps, lgs ybx hçm, 1953, p. dnç.
(13) D.J.A. CLINES, Dictionary of Classical Hebrew (Sheffield 1998) IV, 353.
(14) Cf. M. JASTROW, A Dictionary of the Targumim, the Talmud Babli and Yerushalmi
and the Midrashic Literature (Jérusalem 1903) 606; M. SOKOLOFF, A Dictionary of Jewish
Babylonian Aramaic of the Talmudic and Geonic Periods (Ramat-Gan – Baltimore –
Londres 2002) 549; The Assyrian Dictionary of the Oriental Institute of the University of
Chicago (Chicago – Glückstadt 1971) VIII, 2.
(15) S. SCHECHTER – C. TAYLOR, The Wisdom of Ben Sira. Portions of the Book
Ecclesiasticus from Hebrew Manuscripts in the Cairo Genizah Collection (Cambridge
1899) 66. M. Segal reprend aussi l’hypothèse, ajoute celle de t/bh}L'mi (même sens) sans
trancher; c’est celle-ci qui figurait dans la première édition de son livre en 1933, p. hp.
(16) Cf. W.H.C. PROPP, Exodus 1–18 (AB 2; New York – Londres – Toronto – Sydney
– Auckland 1998) 183-199.
(17) I. LÉVI, L’Ecclésiastique ou la sagesse de Jésus, fils de Sira. Texte original hébreu
(BEHE Sciences religieuses, 10,2; Paris 1901) II, 219.
(18) SKEHAN – DI LELLA, The Wisdom of Ben Sira, 563; A.A. DI LELLA, “Sirach 51:1-
12: Poetic Structure and Analysis of Ben Sira’s Psalmâ€, CBQ 48 (1986) 397, 402.