Jean-Noël Aletti, «Les difficultés ecclésiologiques de la lettre aux Éphésiens. De quelques suggestions», Vol. 85 (2004) 457-474
This article is an attempt to show that the ecclesiology of Ephesians does not deviate from that of the Proto-Pauline letters but is altogether compatible with it.
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Sans polémiquer contre la Loi (22), le passage constate seulement sa
disparition, sa destruction (23). Cela dit, la présence du vocable novmo"
n’est pas accidentelle, car, dès le v.11, le rédacteur mentionnait une loi
fondamentale du système mosaïque, la circoncision, et il présente
maintenant ce dernier comme cause directe de division entre Israël et
les Nations; le v.15 ne fait ainsi que nommer une réalité déjà visée
depuis le v.11.
La loi mosaïque est donc identifiée à la haine, selon une
métonymie inverse de la première, celle du Christ paix (Ep 2,14). On
notera le changement d’optique par rapport à Rm, où Paul ne dit pas
que la Loi a été détruite, même si elle ne touche plus les chrétiens,
morts avec le Christ à la Loi et au péché (24), un changement explicable
par l’évolution du tissu ecclésial, car seule l’expérience ecclésiale —
la manière dont l’unité s’était faite entre chrétiens d’origine juive et
païenne, et le rôle que la Loi avait ou n’avait plus dans les Églises
d’alors — justifie une affirmation d’autant plus forte qu’elle pouvait
choquer les croyants d’origine juive. Bref, du passé juif et du judaïsme,
Ep retient surtout le négatif (25), et nous pouvons maintenant ajouter
que la raison en est fondamentalement le statut eschatologique des
chrétiens et de l’Église.
Si pour Ep l’Église n’a rien en commun avec l’Israël historique,
peuple élu, mais appartenant à l’histoire, ni avec le judaïsme, parce que
religion centrée sur la Loi, cela signifie-t-il pour autant que son auteur
supprime tout lien de mémoire et de dialogue avec l’un et l’autre?
D’Israël, l’Église n’a-t-elle pas conservé la mémoire, puisqu’elle a fait
siennes ses Écritures saintes? Il est vrai que, même si l’auteur d’Ep
reprend bien des mots ou expressions bibliques, à la différence des
homologoumena, il n’argumente pas en utilisant les Écritures comme
preuve d’autorité (26). Sans vouloir, affronter ici dans toute son
(22) Ce trait a été bien relevé par HECKEL, «Kirche und Gottesvolk», 191.
(23) Qu’on interprète le participe katarghvsa" comme une abolition, une
totale inefficacité (ainsi, pour HECKEL, «Kirche und Gottesvolk», 191, elle est
devenue unwirksam) ou inutilité, le sens n’en est pas fondamentalement changé.
(24) Dans les homologoumena, Paul signale plusieurs fois que le régime de la
Loi est obsolète pour les chrétiens (Ga 3,24-25; Rm 6,14; etc.).
(25) Une constatation analogue a été déjà faire par HECKEL, «Kirche und
Gottesvolk», 190, selon qui Ep ne décrit pas Israël comme peuple par lequel est
venu le salut ni comme peuple de la promesse (une promesse qui trouverait son
accomplissement dans l’Église).
(26) La remarque vaut aussi pour la citation du Ps 67-68,19 en Ep 4,8 et pour
le midrash pesher qui la suit (Ep 4,9-16).