Jean-Noël Aletti, «Les difficultés ecclésiologiques de la lettre aux Éphésiens. De quelques suggestions», Vol. 85 (2004) 457-474
This article is an attempt to show that the ecclesiology of Ephesians does not deviate from that of the Proto-Pauline letters but is altogether compatible with it.
Les difficultés ecclésiologiques de la lettre aux Éphésiens 459
Certes, ce ne sont pas les seules images décrivant l’Église en Ep.
Suivant en cela les homologoumena, Ep en utilise en effet plusieurs
autres: les croyants sont la possession (peripoivhsi") de Dieu (1,14)(7),
ils forment désormais un seul homme nouveau (2,15; 4,24) (8), un
temple saint (nao;" a{gio") dans le Seigneur (2,21), une demeure
(katoikhthrion) de Dieu dans l’Esprit (2,22) (9). Cette réelle diversité
v
montre bien que le Christ n’est pas le seul par rapport auquel l’Église
est décrite en Ep. Les images de tête et de corps sont néanmoins les
plus fréquentes, et les seules à être expliquées, explicitées. Elles
soulignent en outre que le Christ et l’Église sont inséparables, que
l’Église reçoit du Christ ressuscité tout ce qui lui est nécessaire pour sa
croissance et sa perfection (4,12-13) (10). S’il est généralement admis
(7) Selon les uns, le syntagme th'" peripoihvsew" de 1,14 a un sens actif (et les
croyants en sont alors le sujet), et selon les autres un sens passif (les croyants sont
alors la possession de Dieu). Pour une justification du sens passif, voir ALETTI,
Éphésiens, 82.
(8) Comme pour celui de la précédente, le référent de cette expression est
aussi très discuté. L’interprétation ecclésiologique est préférée par de nombreux
commentaires, et l’on ne peut que renvoyer aux motivations qui y sont données.
Voir, entre autres, ALETTI, Éphésiens, 152-153 et 238.
(9) Eu égard aux métaphores ecclésiales des homologoumena, sw'ma du Christ
(1 Co 12,12-27), gewvrgion, oijkodomhv (1 Co 3,9), laov" (2 Co 6,16b; Rm 9,25-26)
et naov" de Dieu (1 Co 3,16-17; 2 Co 6,16a), on peut relever de réelles
ressemblances. Noter cependant l’absence en Ep du terme laov", dont on va
montrer qu’elle n’est pas fortuite.
(10) Si l’existence de l’Église est le résultat de l’œuvre salvifique, il est plus
difficile d’en déterminer le terminus a quo: à la croix ou à la résurrection? Car si
Ep 2,19-22 attribue la constitution de l’Église comme demeure de Dieu et temple
saint à l’œuvre accomplie par le Christ en croix, Ep 1,20-23 affirme de son côté
que l’être-tête du Christ et l’être-corps de l’Église, qui lui est corrélatif, sont un
effet de la seigneurie que Dieu a conférée au Christ en le ressuscitant des morts.
L’écart entre les deux séries d’énoncés est encore aujourd’hui attribué par la
plupart des commentateurs à des couches rédactionnelles différentes. On pourrait
aussi être tenté de concilier les passages en disant que l’Église fut créée à la croix
et qu’elle ne devint corps du Christ qu’après la résurrection de ce dernier. Mais
avant d’opposer ou d’harmoniser les énoncés, il importe de noter que la lettre
attribue l’œuvre rédemptrice à la fois à Dieu le Père et au Christ, Ep 2 constituant
un diptyque, dont les deux volets (v.1-10 et 11-22) sont inséparables — pour une
démonstration, voir ALETTI, Éphésiens, 112-113 — : le premier insiste sur le fait
que Dieu nous a fait revivre et ressusciter avec le Christ, et le deuxième, sur la
réconciliation et la pacification opérées par le Christ à la croix. Le rédacteur ne
suit pas un ordre chronologique, puisqu’il commence par affirmer que les
croyants ont été ressuscités par Dieu (v.1-10), pour, seulement ensuite, dire qu’ils
furent réconciliés et unifiés à la croix (v.11-22): la logique y est celle de la
préséance divine, l’œuvre attribuée à Dieu le Père étant présentée avant celle du