Jean-Noël Aletti, «Les difficultés ecclésiologiques de la lettre aux Éphésiens. De quelques suggestions», Vol. 85 (2004) 457-474
This article is an attempt to show that the ecclesiology of Ephesians does not deviate from that of the Proto-Pauline letters but is altogether compatible with it.
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parce que touchant le statut même de l’Église, et que le présent essai
se propose d’affronter, pourrait être ainsi formulée: quelle place Ep
donne-t-elle à Israël dans la mémoire de l’Église et dans l’histoire du
salut? Car, en Ep, la situation actuelle de l’Église est décrite positive-
ment, mais sans lien avec Israël (et pas davantage avec les annonces
de salut faites à ce peuple) (5). Faut-il en conclure que, dès les
antilegomena, Israël, et avec lui le judaïsme, fait partie du refoulé de
l’Église? Bref, les énoncés ecclésiologiques d’Ep invitent l’exégète au
discernement.
Après avoir montré que si l’ecclésiologie d’Ep ne met pas l’Église
en relation avec Israël et le judaïsme c’est à cause du statut que
son auteur accorde au groupe chrétien, nous comparerons cette
ecclésiologie à celle de Rm 9–11 et des autres homologoumena, pour
vérifier, si, comme on l’a dit par le passé et comme on le répète encore,
les deux sont divergentes, voire opposées.
1. Le statut eschatologique de l’Église
Commençons par montrer que les problèmes ecclésiologiques ci-
dessus mentionnés existent vraiment et qu’ils viennent de ce qu’Ep
confère à l’Église un statut eschatologique. Comment une entité
eschatologique aurait-elle en effet besoin d’une attache ou d’une
mémoire historique, mondaine donc?
Que l’Église soit présentée par Ep comme une entité eschatolo-
gique ne devrait pas faire l’objet de longs développements, tant les
énoncés invitent à cette conclusion. Il y a d’abord ceux où il est dit que
les membres de l’Église sont ressuscités et assis dans les cieux, là où
est le Christ, et qu’ils sont désormais hors de portée des puissances
maléfiques, célestes (esprit mauvais) et mondaines (politiques ou
autres; 2,1-6). Comment, de la situation glorieuse des membres, ne
serait-on pas autorisé à dire qu’il en est de même pour l’Église? Il y a
ensuite les énoncés où le Christ et l’Église sont respectivement appelés
tête et corps, et où la logique de l’image exige qu’on associe la
situation de l’Église à celle du Christ: la tête pourrait-elle être
ressuscitée sans que son corps le soit?
Les métaphores de la tête et du corps sont sans doute celles qui
connotent le plus explicitement la nature eschatologique de l’Église (6).
(5) Ainsi, HECKEL, «Kirche und Gottesvolk», 190.
(6) Le terme sw'ma désigne l’Église en Ep 1,23; 2,16; 4,4.12.16; 5,23.30. Pour
le référent ecclésial du «un seul corps» de 2,16, voir ALETTI, Éphésiens, 154.